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CAFÉ JURIDIQUE N°14: LA DIGNITÉ HUMAINE : VECTEUR DES DROITS DE L’HOMME

Les droits de l’homme, quoique défendus et protégés restent un sujet au centre duquel se trouve la dignité humaine. Par la dignité humaine, les droits de l’homme trouvent toute leur essence ; on dira que les droits de l’homme n’auraient jamais existé s’il ne résidait pas en l’homme, un grain de dignité qui mérite l’attention de chacun et de tous. Notion à contenu diffus et variable, la dignité humaine est difficilement cernable. Le sens qu’on lui donne varie selon que l’on soit philosophe, sociologue, historien ou encore juriste. Mais au-delà de cette variété notionnelle, les auteurs s’accordent sur un minimum d’éléments pouvant renseigner sur le sens sinon le contenu de la notion de dignité humaine. Il convient donc de lever le voile qui fait persister cette ambiguïté notionnelle pour ainsi s’accorder sur ce que recouvre cette notion sans laquelle les droits de l’homme n’auraient pas de quoi nourrir leur existence. Nous avons décidé d’y consacrer ce numéro de la rubrique « Café Juridique ».

NOTION DE « DIGNITE HUMAINE »

Étymologiquement, la dignité vient du latin « dignitas », et renvoie à ce qui rend digne, beau, majestueux, vertueux, honorable ou honorifique, considérable, estimable, crédible, prestigieux. La dignité est le respect, la considération ou les égards que mérite quelqu’un ou quelque chose. La dignité de la personne humaine est le principe selon lequel une personne ne doit jamais être traitée de façon cruelle, inhumaine ou dégradante.

La dignité humaine peut être considérée comme le respect, la considération que mérite une personne. Elle est intangible et doit être respectée et protégée par le pouvoir public. Toute atteinte à la dignité humaine est interdite quelques soient les faits.

À l’origine, elle reste une notion philosophique qui a été ensuite intégrée en droit du fait de sa portée qui dépasse le champ philosophique pour se retrouver sur celui juridique. L’autre argument de la prise en compte par le droit de la notion de dignité est intimement lié au fait que le droit en tant que science, se construit autour de l’homme qui est un élément de la société elle-même prise comme système au sein duquel se trouvent des éléments qui vivent dans une relation d’interdépendance réciproque. L’interaction qui existe entre les différents éléments qui constituent la société est partie tout d’abord de l’homme même si les saintes écritures révèlent que la constitution du monde par le divin n’a pas débuté par l’homme ; l’homme n’est que l’élément du système sur lequel le divin a parachevé la création de la nature.
Si son implication originelle est telle que l’on ne peut traiter l’homme comme un animal ou un objet, on conçoit aisément qu’elle reste propre à l’homme et la reconnaitre c’est reconnaître à l’être humain doué de « raison et de conscience » une place à part. L’être humain n’est pas mû par des instincts ou pulsions qui détermineraient son action, mais peut user de sa raison pour penser, décider, choisir et agir. Il a conscience de ses actes par lesquels il engage sa liberté et sa responsabilité.
La sauvegarde de la dignité de la personne humaine est même érigée en principe à valeur constitutionnelle. Elle est inaliénable et doit donc être défendue dès la conception jusqu’à la mort de l’être humain. Les christianismes en ont même fait une notion qui replace l’homme au centre des intérêts et des relations qui le lient au divin puisque pour les chrétiens, l’homme est un don de Dieu et même créé à son image et à sa ressemblance d’après les saintes écritures. Comme tel, toucher à la dignité de la personne humaine ou la méconnaître, c’est remettre en cause l’existence de Dieu.

À titre illustratif, l’esclavage est historiquement l’une des plus graves atteintes à la dignité de la personne humaine.

L’EXISTENCE HUMAINE ET LA DIGNITE HUMAINE

Inhérente à l’homme, la dignité humaine se veut être un centre d’intérêt d’unification de touches les couches sociales sans discrimination aucune et de justice sociale révélatrice d’un monde où les hommes vivent en parfaite harmonie, en inébranlable symbiose. L’une de ses exigences est que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme un autre lui-même, tienne compte avant tout de son existence et des moyens qui lui sont nécessaires pour vivre dignement. Sa reconnaissance et sa défense doit être la préoccupation de chacun et de tous, par la charité et la fraternité.

Quoique délicate et complexe, la notion est tout de même cernable. Objectivement, la notion de dignité humaine repose sur la sacralité de l’homme, son inviolabilité, la considération sinon l’attention qu’il mérite d’avoir du fait qu’il est homme. Les déterminants tels que la race, la religion, l’ethnie etc. ne peuvent être aucunement pris en compte dans l’appréhension de la dignité humaine. Cette notion transcende même les droits de l’homme pour se retrouver dans la métaphysique.
Elle exige également une société juste dont la réalisation ne peut se faire que dans le respect de la dignité transcendantale de la personne humaine. Celle-ci représente la fin dernière de la société, qui lui est ordonnée.

LA DIGNITE HUMAINE, SOCLE DES DROITS HUMAINS

Vecteur ou élément moteur des droits de l’homme, la dignité humaine a eu le mérite d’être prisée par plusieurs instruments aussi bien nationaux, régionaux qu’internationaux.

Au plan national, la dignité humaine est déjà évoquée dans le préambule même de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 modifiée par la loi n°2019-40 du 07 novembre 2019.
Dans le préambule de la loi fondamentale, il est clairement dit que : « Nous, peuple béninois,… affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un État de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle, que spirituelle… ».

Mieux, l’article 8 de la même Constitution prévoyait déjà à l’alinéa 1er que : «  La personne humaine est sacrée et inviolable ». À l’article 18 de renchérir : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Ces deux articles tournent autour de la dignité humaine. Les caractères sacré et inviolable de la personne humaine promeuvent l’interdiction de la torture, des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Au plan régional, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée à la dix-huitième Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine le 18 juin 1981 à Naïrobi, Kenya et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 évoque également la nécessité de lutter pour (le maintien de) la dignité des peuples africains. Substantiellement, elle prévoit dans son paragraphe 9 que : « Conscients de leur devoir de libérer totalement l’Afrique dont les peuples continuent à lutter pour leur indépendance véritable et leur dignité et s’engagent à éliminer le colonialisme, le néocolonialisme, l’apartheid, le sionisme, les bases militaires étrangères d’agression et toutes formes de discrimination, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’opinion politique ». Le colonialisme, le néocolonialisme, l’apartheid, le sionisme, les bases militaires étrangères d’agression et toutes formes de discrimination sont autant d’éléments qui remettent en cause la dignité de la personne humaine.

L’article 4 du même texte rejoint substantiellement l’alinéa 1er de l’article 8 de la Constitution béninoise lorsqu’il dispose : « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit ».
L’article 5 vient consacrer la nécessité de respecter la dignité humaine : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdits ».

Les articles 3, 4 et 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, abordent dans leur ensemble toute la considération nécessaire à l’homme. À l’article 3, il est mentionné que : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». L’article 4 met l’accent sur le fait que « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes ». Au demeurant, l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants autrefois abordée dans les dispositions évoquées supra, a été une fois encore mise en relief ici à travers les dispositions de l’article 5: « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

L’impératif d’assurer le respect de la dignité humaine suppose également que « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé » tel que mentionné à l’article 9 de la DUDH.

La dignité humaine est une notion à contenu vaste et étendu. Il sera difficile de l’aborder dans tous ses aspects car son champ n’est pas uniquement limité à celui juridique qui, lui-même, n’est pas celui au sein duquel la notion trouve sa substance première.

Jesukpégo Elie GBEDEMAKOU,
Directeur du Département Paix et Droits de l’Homme de la Fondation VISSIN, Chargé des relations avec les institutions.

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