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CAFÉ JURIDIQUE N°5: LA GARDE À VUE EN DROIT BÉNINOIS

 

« Conduit au commissariat le plus proche par un agent de la police après avoir poignardé un ami pour une dette de longue date, ce dernier me dit tout bas : cher monsieur, vous êtes désormais placé en garde à vue. Je n’y comprenais rien de ce français qui me paraissait tout de même étrange jusqu’à ce que je sois jeté dans une cellule tel un va-nu-pieds ».

Et c’est avec ce récit illustratif que s’ouvre le cinquième numéro de votre rubrique préférée « CAFÉ JURIDIQUE » sur un épineux thème : LA GARDE À VUE.

La garde à vue (Gav) est une mesure privative de liberté à temps par laquelle un officier de police judiciaire (gendarme ou fonctionnaire de police) retient pendant une durée légalement déterminée, une personne (un suspect) qui, pour les nécessités de l’enquête, doit rester à la disposition des services de police. Cette mesure permet non seulement d’avoir la personne à leur disposition mais de l’interroger également afin de vérifier si ses déclarations sont exactes.

Rappelons d’ores et déjà que toute personne suspectée par la police d’avoir tenté de commettre ou ayant commis une infraction punie par la loi peut être placée en garde à vue.

La garde à vue débute systématiquement par la notification des droits. Dans la pratique, l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) notifie à la personne gardée à vue, son placement en garde à vue et lui demande de signer un procès-verbal. Sur le procès-verbal d’interrogatoire du gardé à vue sont mentionnés la durée des interrogatoires auxquels la personne a été soumise et des pauses qui ont séparé ces interrogatoires, le jour et l’heure à partir desquels elle a été gardée à vue ainsi que le jour et l’heure à partir desquels elle a été soit libérée, soit amenée devant le magistrat compétent, ou tenue à la disposition de ce magistrat, le tout sous peine des sanctions pénales au code pénal.

Cette mention doit être spécialement émargée par les personnes intéressées et au cas de refus ou d’impossibilité, il en est fait mention. Elle comportera obligatoirement les motifs de la garde à vue.

Le délai de garde à vue commence dès lors que la personne soupçonnée n’est plus libre de ses mouvements. (Cf. art. 63 du code de procédure pénale).

Une personne ne peut être placée en garde à vue que si la mesure garantissant le maintien de la personne à la disposition des enquêteurs est l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

– permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

– garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République aux fins de mettre ce magistrat en mesure d’apprécier la suite à donner à l’enquête ;

– empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

– empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;

– garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser l’infraction (Article 58 du code de procédure pénale).

Le gardé à vue dispose néanmoins d’une série de droits dont l’OPJ est tenu de l’informer. Il s’agit du droit de constituer un avocat, droit de se faire examiner par un médecin de son choix, droit d’informer et de recevoir un membre de sa famille (Art 59 du code de procédure
pénale).

Le procureur de la République doit être immédiatement informé de toute mesure de garde à vue. Mais dans la pratique, cette règle n’est pas respectée. Il y a des cas où des gens sont gardés à vue et même au-delà de la durée fixée par la loi sans même que le procureur de la République n’en soit informé. Cette privation arbitraire de liberté constitue une violation des droits de l’homme et plus concrètement le droit à la liberté d’aller et de venir.

Pire encore, rares sont les personnes gardées à vue à qui leurs droits sont communiqués. Cela ne saurait être considéré comme une erreur professionnelle due à la méconnaissance desdites dispositions mais plutôt d’un manque de bonne foi de la part de ces OPJ.

Bien que la garde à vue soit une mesure restrictive de liberté qui s’applique à tout citoyen suspecté d’être à l’origine d’une infraction à la loi pénale, elle est interdite en matière d’infractions commises par voie de presse ou par moyens de communication audiovisuelle.

Au Bénin, la durée de la garde à vue est de 24 heures. Elle peut être prolongée de 24 heures ou de 48 heures au maximum sur autorisation du procureur de la République. Les personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de nature à motiver leur inculpation ne peuvent être gardées à la disposition de l’OPJ plus de quarante-huit (48) heures.

À l’expiration de ce délai, ces personnes sont conduites devant le procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, de la prolongation du délai de la garde à vue qui, dans tous les cas, ne peut excéder huit (08) jours.

La prolongation de la durée de la garde à vue peut être ordonnée par le procureur de la République en cas de crime contre la sûreté de l’État, tout crime, tout délit contre les mineurs, dans tous les cas où la complicité ou la spécialité de l’enquête l’exige, tout trafic de stupéfiants, et usage de stupéfiants et de substances psychotropes.

Mais lorsque des mineurs de moins de dix-huit (18) ans doivent être gardés à vue, ils le sont sous le contrôle effectif du procureur de la République et dans des locaux distinctifs de ceux des adultes (Cf. art. 60 du code de procédure pénale).

Cette particularité de la garde à vue dont a pris en compte le législateur béninois est salutaire du point de vue sécuritaire puisqu’elle contribue grandement à la protection du mineur aussi bien sur le plan physique que psychologique en raison de son état de vulnérabilité.

Le plus souvent dans la pratique, les interrogatoires sont musclés et les OPJ obtiennent de force chez les personnes gardées à vue des informations qui ne sont pas en réalité fiables pour une bonne administration de la justice. Cette manière d’interroger les personnes gardées à vue a conduit injustement des milliers de personnes en prison et généralement, ce n’est qu’après de longues années de détention que la vérité triomphe au grand désarroi de ces derniers. Cela constitue une erreur judiciaire causant ainsi d’énormes préjudices aux intéressés.

Il est tout de même bien vérifié qu’il y a des personnes gardées à vue qui n’entendent collaborer à moins que l’interrogatoire soit assez musclé. C’est généralement le cas des grands criminels appartenant à des grands réseaux mafieux.

De tout compte fait, aucune raison ne saurait justifier l’exercice de la violence sur les personnes gardées à vue lors de la phase interrogatoire. C’est pourquoi il est généralement conseillé aux personnes gardées à vue de se faire assister d’un avocat au cours de cette phase importante de la procédure pour la protection et la sauvegarde de leurs droits.

Jesukpégo Elie GBEDEMAKOU, Conseiller juridique de la Fondation VISSIN,
Directeur du Département Droits de l’Homme, Chargé des relations avec les institutions

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