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CAFÉ JURIDIQUE N°10: LA LIBERTÉ RELIGIEUSE AU BÉNIN : MYTHE OU RÉALITÉ

 

La rubrique « CAFÉ JURIDIQUE » vous revient dans son dixième numéro spécialement consacré à l’effectivité de la liberté religieuse au Bénin.

Droit fondamental de la personne humaine, la liberté de religion, liberté de culte ou liberté de croyance désigne la possibilité pour un individu de choisir et de pratiquer une religion donnée ou aucune. Elle est consacrée par des textes constitutionnels, déclarations, pactes, conventions et autres qui permettent d’affirmer, de défendre, d’étendre ou de limiter ce droit. La liberté de religion est, avec le sécularisme (laïcité) l’un des aspects essentiels de la liberté de conscience. Elle met l’État hors de la gestion des affaires religieuses, ecclésiastiques ou rituelles et constitue une affaire privée.

La liberté religieuse a été établie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en son article 10. La Convention européenne des droits de l’homme prévoit également dans son article 9 que : « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Sont ainsi garanties la liberté de conscience et la liberté de manifester son appartenance religieuse. La liberté religieuse suppose la liberté pour chacun d’exprimer sa religion, celle de la pratiquer et celle de l’abandonner, dans le respect de l’ordre public. Elle fait appel à une sorte de neutralité de la part de l’État qui ne doit aucunement s’immiscer dans la gestion des activités religieuses mais se doit de procéder à son encadrement par des textes de loi.

Le droit à la liberté religieuse précède de l’appartenance d’un individu à une association cultuelle ou religieuse. Cette liberté est garantie par la loi comme le souligne l’article 8 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée par la dix-huitième Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine le 18 juin 1981 à Nairobi, Kenya et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 : « La liberté de conscience, la profession, et la pratique libre de la religion sont garanties. Sous réserve de l’ordre public, nul ne peut être l’objet de mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés ».

Son respect s’observe généralement dans des États démocratiques à l’instar du Bénin caractérisé par une laïcité qui suppose l’acceptation ou la tolérance des valeurs cultuelles qui n’entraveraient pas l’ordre public ou les bonnes mœurs. Les articles 9 et 10 de la Constitution béninoise du 12 décembre 1990 abondent dans le même sens dans une approche consacrant et reconnaissant la liberté spirituelle qui est indissociable de celle religieuse. Car, toutes les religions se reposent sur un caractère spirituel, ce qui les distingue les unes des autres.

Pour l’article 9 : « Tout être humain a droit au développement et au plein épanouissement de sa personne dans ses dimensions matérielle, temporelle, intellectuelle et spirituelle, pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel et les bonnes mœurs ». L’article 10 de la même Constitution vient préciser la nécessité sinon l’obligation pour l’État de promouvoir et de sauvegarder les valeurs spirituelles lorsqu’il dispose : « Toute personne a droit à la culture. L’État a le devoir de sauvegarder et de promouvoir les valeurs nationales de civilisation tant matérielles que spirituelles, ainsi que les traditions culturelles ».

Loin d’être un mythe au vu de sa consécration par la Constitution béninoise et du caractère laïc de l’État béninois, l’exercice de la liberté religieuse conduit à des déviances qui échappent parfois à l’État malgré les mesures d’encadrement qui existent. C’est ainsi que nous avons des religions qui font carrément la promotion du charlatanisme, de la magie, de la sorcellerie. Ces pratiques sont réprimées par le code pénal du Bénin. D’autres, en ce qui les concerne, créent des nuisances sonores et sont souvent des nids d’escroquerie et d’abus de confiance que subissent les fidèles de la part des dirigeants. Parlant même des pratiques obscènes et peu orthodoxes que l’on observe dans les milieux cultuels, nous avons également des abus sexuels, du harcèlement, des agressions sexuelles dont sont victimes des fidèles.

Si nous remontons à l’histoire de l’Église catholique et donc du Saint-Siège, nous comprendront aisément que la liberté religieuse est l’œuvre du Magistère. Historiquement parlant, c’est d’ailleurs la première des libertés et celle qui constitue presque le fondement et la synthèse de toutes les autres libertés. Elle est l’expression sur le plan juridique de l’ouverture ou de l’aspiration de l’esprit de l’homme à la transcendance qui en constitue la supérieure dignité face à toutes les autres créatures et à n’importe quelle puissance d’origine humaine. Par elle, l’homme réalise ses potentialités dans ses relations avec les autres êtres humains. Sa violation est une injustice radicale, car elle touche les racines mêmes de la dignité humaine. Sa protection élève la communauté politique, en la faisant
garante du caractère transcendant de la personne humaine et de sa valeur suprême. La protection du droit à la liberté religieuse postule en même temps celle de la liberté de conscience, qui témoigne même chez les non-croyants le caractère absolu de la personne humaine.

Son contenu sur le plan juridique consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse, nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans les justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres.

Si la liberté religieuse renferme la croyance et la manifestation de cette croyance, elle est source de menaces. Les menaces les plus sérieuses faites au droit à la liberté religieuse découlent, d’un côté, des régimes politiques oppressifs, de marque totalitaire ou fondé sur un exclusivisme confessionnel ou idéologique, qui ne permettent pas aux croyants de vivre librement leur foi ou de changer leurs convictions religieuses ou confessionnelles. Une deuxième menace découle des tendances culturelles, fortement répandues dans les États démocratiques et ainsi dans la communauté internationale, qui, même s’ils reconnaissent formellement ce droit, en privilégient une interprétation individualiste et restrictive qui ne reconnaît pas la dimension publique de la religion et aux croyants la possibilité effective de participer à la construction de l’ordre social et politique, en témoignant publiquement sa foi et les valeurs qui en émanent directement. La liberté religieuse ne doit pas être limitée au libre exercice du culte, mais doit prendre en considération la dimension publique de la religion et donc la possibilité pour les croyants de participer à la construction de l’ordre public.

En parallèle à ce que l’on observe dans des États africains, précisément ceux démocratiques comme le Bénin, la liberté religieuse n’est pas du tout garantie ou sa consécration par les instruments juridiques de ces États tend à disparaitre dans sa matérialité. C’est le constat fait en Asie où la liberté religieuse est toujours menacée. Selon le dernier rapport du Pew Research Center, un centre américain d’analyses sociales, le nombre de pays au monde où la population a subi des formes aggravées d’hostilités sociales contre les religions est passé de 39 pays à 56 pays en dix ans (sur 198 pays étudiés). Dans certains pays, les favoritismes contre certains groupes religieux en particulier se sont développés, notamment en Thaïlande où une nouvelle Constitution est passée en 2017 faisant ainsi du bouddhisme la religion à pratiquer par tous. Depuis 2015, l’islam est la religion la plus fréquemment citée au rang de religion d’État ; sur 43 pays ayant une religion officielle, 27 ont adopté l’islam (63%) en Indonésie, les gouvernements locaux ont continué leurs tentatives de conversions forcées des musulmans ahmadis, en leur demandant par exemple de signer leur renonciation à leurs convictions avant un mariage ou avant de partir en pèlerinage à la Mecque. En Chine, seuls certains groupes religieux sont autorisés à s’enregistrer auprès du gouvernement et à pratiquer des célébrations religieuses. Aux Maldives par exemple, il est interdit de promouvoir toute autre religion que l’islam. Au Laos, les groupes religieux doivent obtenir l’autorisation du gouvernement pour pouvoir se rassembler, organiser des rites religieux, construire des lieux de culte et fonder de nouvelles communautés. C’est d’ailleurs ce qui explique les cas de tortures quotidiennement enregistrés à l’égard des individus qui tentent d’avoir une opinion religieuse contraire ou de pratiquer d’autres religions que celles admises ou autorisées dans ces États. On constate dès lors que le taux de restriction de la liberté religieuse est en hausse en Asie.

Il est du devoir de l’État de protéger tous les citoyens, qu’ils revendiquent une conviction religieuse ou non. Dans cette liberté, doit également s’observer le respect de la religion de l’autre dans un élan de tolérance réciproque. Ceci limiterait au mieux la guerre à laquelle se livrent les religions aujourd’hui notamment ceux du christianisme et de l’islam.

Jesukpégo Elie GBEDEMAKOU, Conseiller juridique de la Fondation VISSIN, Directeur du Département Droits de l’Homme, Chargé des relations avec les institutions

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